La pensée et l’action de Pierre Simon: Promoteur français de la contraception, de l’avortement, de l’euthanasie et de la GPA

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Pierre Simon est une référence incontournable pour qui veut comprendre l’idéologie de la maîtrise de la vie qui sous-tend la valorisation de l’euthanasie, de l’avortement ou de la procréation artificielle. Le Dr Pierre Simon (1925-2008) se présente lui-même comme la figure de proue en France de tous les combats menés dans la seconde moitié du XXe siècle pour la légalisation de ces pratiques. Pour lui, tous ces combats n’en forment qu’un : celui du renversement de la morale traditionnelle et de la prise de contrôle rationnel de la sexualité et de la procréation en vue du progrès biologique et moral de l’humanité dans une perspective évolutionniste, et finalement transhumaniste.

Le Dr Pierre Simon a été durant toute sa carrière un militant, œuvrant d’abord pour la diffusion de l’accouchement sans douleur, puis la légalisation de la contraception et de l’avortement, puis de l’euthanasie et enfin de la GPA. Cofondateur en 1960 du Mouvement Français du Planning Familial puis de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), et de l’association Euro Mater favorable à la gestation par autrui (GPA). Il était gynécologue et franc-maçon, grand-maître de la Grande Loge de France de 1969 à 1971 et de 1973 à 1975. Il a fait partie des cabinets des ministres de la Santé Robert Boulin, Michel Poniatowski et Simone Veil. Il dit avoir été le véritable maitre d’œuvre de la légalisation de la contraception et de l’avortement en France, Simone Veil ayant été une figure publique choisie pour porter ce projet au Parlement. Auteur en 1972 d’un célèbre Rapport sur le comportement sexuel des Français apportant une caution sociologique et scientifique à la révolution sexuelle initiée en 1968, il est aussi à l’origine du développement de l’éducation sexuelle dans les écoles avec la création en 1973 du Conseil supérieur de l’éducation sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale[1], dont il assura la présidence.

En un livre publié en 1979 et intitulé De la vie avant toute chose[2], Pierre Simon révèle le contenu et la cohérence de son idéologie, mais aussi l’action d’influence qui fut mise en œuvre pour parvenir à la légalisation de la contraception et de l’avortement, et à introduire le militantisme en faveur de l’euthanasie et de la GPA. La France vit encore dans son héritage. Bien que son nom soit encore peu connu du grand public, sa figure reste une référence, invoquée par exemple avec insistance par Emmanuel Macron lors de son discours prononcé en novembre 2023 à l’occasion du 250e anniversaire du Grand Orient de France.

Ce livre est entouré d’une légende. Il se dit en effet, sans preuve, qu’il aurait été retiré de la vente dès sa parution, sur ordre des loges, parce qu’il révèlerait trop explicitement l’idéologie et l’action de Pierre Simon et de la franc-maçonnerie pour être mis à disposition des profanes.

Ce texte se propose donc de faire une synthèse de ce livre, complété par la lecture d’autres ouvrages de Pierre Simon, et de la consultation de ses archives publiques déposées au Centre des archives du féminisme, à la bibliothèque universitaire d’Angers. Toutefois, la majeure partie de ses archives, déposées à la Grande Loge de France, n’est pas accessible au public.

I. La pensée de Pierre Simon : une synthèse du progressisme de la Libre pensée

Le témoignage de Pierre Simon a l’intérêt d’être très explicite car il prend soin d’expliquer les fondements et les finalités philosophiques de son action. Il permet de voir l’unité conceptuelle internationale du mouvement soutenant la contraception et l’avortement, et confirme l’articulation entre la promotion du contrôle de la population, de l’eugénisme et des « droits des femmes », dans la perspective plus générale ouverte par l’évolutionnisme. Son témoignage confirme que la motivation première à l’origine du mouvement de libéralisation de la contraception et de l’avortement n’était pas les droits des femmes, mais le contrôle quantitatif et qualitatif de la procréation humaine. En outre, il expose clairement une vision idéologique d’une société nouvelle qui pourrait naître de la transformation de la sexualité et de la procréation.

Au-delà du récit de son action pour la légalisation de la contraception et de l’avortement, son autobiographie révèle sa pensée qui s’inscrit dans le prolongement de celle de penseurs matérialistes et eugénistes, tel Julian Huxley. C’est la lecture du livre L’Homme, cet inconnu d’Alexis Carrel qui a joué un rôle déterminant dans le choix de son métier de médecin qu’il envisage comme l’un des « moyens de soulever le monde, d’ébranler le vieil ordre », la gynécologie étant au sein de la médecine « le meilleur des leviers » permettant de « se substituer à la nature là où elle était défaillante » (pp. 35-38). Il s’agit pour lui de « mener la guerre idéologique qui conduirait à la mutation de la tradition occidentale » (p 58). Le temps d’Aristote est dépassé, il faut repenser la société après Darwin et Marx (p. 47).

La vie comme matériau à gérer

Pour le Dr Simon, « la vie est un matériau ». Conforme à l’approche eugéniste, il estime que « (u)n respect absolu – ou plutôt aveugle – de la vie se retourne contre lui-même et, ruiné par les moyens qu’il emploie, dévore ce qu’il entend préserver : la qualité de la vie, l’avenir de l’espèce. » (p 15). Pour Pierre Simon, il ne faut pas « idolâtrer » la vie, le respect de la vie est un « fétichisme » qui entraîne « la prolifération des tares héréditaires et les avortements clandestins » (p. 15). En changeant son rapport à la vie, l’homme change son rapport à la nature pour se libérer de sa domination et de toutes les conceptions sacrées de la nature. Pour lui, et les autres médecins francs-maçons avec lesquels il milite, il déclare : « (l)a vie comme matériau, tel est le principe de notre lutte » (p. 84) et « il nous appartient de le gérer » (p. 85) « comme un patrimoine ».

« A changer notre attitude et notre comportement devant la vie – n’y voyons plus un don de Dieu mais un matériau qui se gère -, c’est l’avenir tout entier que nous faisons basculer. Voici qu’il subit une brutale secousse. Des millénaires s’achèvent en notre temps. » (p. 219) Il ajoute: « Cette nouvelle approche de la vie -celle du gestionnaire-, rien ne peut l’arrêter. Sa logique la conduit à rationaliser de plus en plus, un domaine que gouvernait, hier encore, les lois du hasard pour certains, pour d’autres les desseins de la Providence. » (p. 232)

Il parle souvent de « l’éthique du respect de la vie », mais la vie est pensée de façon collective, comme un phénomène et un patrimoine collectif, car transmis et partagé par hérédité, inscrit dans le temps, et un matériau devant être ordonné, soumis à la raison, tiré du hasard et de l’absurde. L’homme par ses efforts doit lutter « contre les puissances aveugles de la matière, du hasard, du destin » (p. 161).

Libérer la sexualité pour mieux contrôler l’homme

Pierre Simon veut changer le rapport de la société à l’égard de la vie. Pour cela, il estime que le moyen le plus efficace est de faire appel au « viscérale » : il veut utiliser la puissance de l’instinct sexuel pour établir un contrôle rationnel sur la transmission de la vie. Simon estime, à la suite de Margaret Sanger, la fondatrice du Planning familiale, que la libération sexuelle permet le contrôle artificiel des naissances par la séparation entre sexualité et procréation, mais aussi la rend nécessaire pour supprimer les grossesses pouvant en résulter.

Ainsi, plus les instincts sexuels seront libérés, plus la science et la société pourront contrôler la procréation. Cela suppose de parvenir à une « sexualité éclatée », qui sépare sexualité et procréation. Plus précisément Simon veut non seulement séparer, mais plus encore « détourner la sexualité de la reproduction » (p. 182) afin de l’employer au service d’autres finalités. Trois buts sont identifiés : malthusianiste, eugéniste et hédoniste.

La contraception permet non seulement de limiter les naissances de façon quantitative, selon la logique néo-malthusienne, mais aussi, écrit-il de « bloquer la transmission des tares héréditaires transmissibles connues », ce qui serait, dans la pure tradition eugéniste, « un devoir d’espèce ». En agissant ainsi, le médecin se placerait « aux termes de la longue filière évolutionniste » (p. 97) car il prendrait le contrôle du processus de l’évolution biologique.

La contraception a aussi un but hédoniste, permettant d’exalter la sexualité et d’en faire une expérience spirituelle athée.

Pour le Dr Simon, la sexualité ne doit plus être une aliénation de l’homme par la nature, la morale et la procréation. Elle doit au contraire devenir une expérience de libération à l’encontre de la nature, sur un mode purement érotique (p. 194). La contraception humaniserait et même sacraliserait la sexualité en la libérant de sa naturalité, de son animalité. Elle marquerait un nouveau détachement des lois de la nature et donc une étape nouvelle – artificielle- dans l’évolution humaine. Simon annonce fièrement que « la sexualité sera l’intercesseur entre l’homme et la divinité » (p. 243). Comme Margaret Sanger et Julian Huxley avant lui, Pierre Simon fait de la sexualité une forme d’expérience absolue, mystique, un acte d’autant plus spirituel qu’il serait indépendant de la nature, de la procréation et désiré pour lui-même. L’union serait d’autant plus grande que la procréation en serait exclue. La contraception ouvrirait ainsi la voie à une forme plus élevée d’existence, détachée davantage de la matière, désireuse d’établir des relations pour elles-mêmes, tout en permettant d’exercer un contrôle rationnel sur la procréation.

Pierre Simon, en Franc Maçon averti, s’inscrit ainsi dans la tradition gnostique marquée par le mépris du corps. Ce rejet de la matière et du corps a conduit les gnostiques à des excès, tantôt dans l’ascétisme, tantôt dans la débauche, mais avec un constant rejet du mariage et de la procréation. La contraception permet à la fois la débauche et la stérilité, le tout sous forme d’expérience mystique.

La qualité contre la quantité

Pierre Simon, conforme à la doxa eugéniste, oppose lui-aussi la qualité à la quantité d’êtres humains : « en un temps qui nous appelle à poser les problèmes en termes de qualité, de choix, nos natalistes ne parlent que d’instinct, de réflexe de conservation. De quantité. » (p. 211) Pour lui, « la vraie grandeur de l’homme ne réside pas dans sa multiplication inconsidérée mais dans l’accomplissement de son perfectionnement quotidien. »[3] Il accepte, à mots à peine couverts, l’infanticide eugéniste, c’est-à-dire l’euthanasie des nouveaux nés handicapés. Il feint ainsi de s’interroger : « Quand on fait profession d’accoucher les femmes, d’être ainsi aux sources mêmes de l’aventure humaine, c’est un moment de dramatiques interrogations que celui où l’on a saisi dans ses mains le fruit erroné d’une conception qui respire cependant et dont le cœur bat. Qu’est-ce alors gérer la vie, ces mots ont-ils encore un sens ? » C’est par référence à sa définition de la vie qu’il répond à cette question. La vie, selon lui, repose « sur la possibilité de faire franchir les limites du monde primitif au biologique pour parvenir au plein épanouissement de ses possibilités ». Il identifie ainsi la vie à la culture et à l’humanité. Un être incapable d’accéder à la culture, à la vie sociale, de s’épanouir intellectuellement, ne serait pas humain (p. 233). Il fait mine alors de s’interroger : « Regardons les choses en face : un mongolien entre-t-il dans ce cadre ? » (p. 232). Il est évident que pour lui, la réponse est « non ». Selon cette conception de la vie, laisser mourir un nouveau-né handicapé, c’est préserver la Vie (p. 234).

Parce qu’il est gynécologue, Pierre Simon croit être aux « sources mêmes de l’aventure humaine » et avoir le devoir de « gérer la vie », d’être gardien des portes de l’existence humaine. Il reproche vivement à l’Ordre des médecins de ne considérer le gynécologue que comme un auxiliaire de la nature, un accoucheur, et l’accuse d’être le porte-parole moral de l’Église catholique : ses pires ennemis.

II. L’Action politique de Pierre Simon

Inspiré par la franc-maçonnerie

Pour Pierre Simon, c’est la franc-maçonnerie qui fut : « la locomotive anonyme ». « Dans cette longue marche, au départ, les francs-maçons ont disposé d’une infrastructure nationale et internationale » (p. 103, De la vie avant toute chose) ; et c’est l’Église catholique qui a toujours constitué son principal ennemi[4]. Il a passé beaucoup de temps à étudier la doctrine catholique et à tenter d’impliquer des théologiens et l’Eglise dans son projet. Il reconnaît avoir été recueilli, caché et sauvé par l’Église catholique durant la Seconde guerre mondiale. Enfant juif, il a même alors servi la messe comme enfant de chœur.

En 1953, l’année même où il entre dans la franc-maçonnerie, il participe à « une équipe de médecins, libres penseurs francophones, le groupe Littré » qui se réunit dans la discrétion régulièrement à Genève « dans le but de lancer le fait contraceptif sur une large échelle, de l’étendre à tous les pays francophones » (p. 83). Ce groupe rassemble des médecins francs-maçons belges, hollandais, français et suisses, notamment Pierre-Olivier Hubinont, gynécologue libre-penseur exerçant à Bruxelles[5]. Celui-ci crée en 1962 le premier centre belge de planning familial, « La Famille heureuse[6] » et fut condamné en 1973, avec le Dr Willy Peers, pour avoir commis des avortements illégaux[7].

D’après Simon, le Groupe Littré est convaincu « qu’aucune société humaine ou animale ne peut procréer indéfiniment et de manière désordonnée ». À cette époque, ce sont les considérations relatives à la croissance démographique qui dominent plutôt que celle sur la liberté individuelle. À propos du Groupe Littré, Pierre Simon déclare :

« Lors de la table ronde de Genève, nous sommes conscients, en dépit des errements de l’Église, que le contrôle des naissances revendiqué comme un droit de l’individu, une composante sociale et une nécessité impérative à l’échelle mondiale, s’annonce comme un problème social de grande ampleur. Car les découvertes des mécanismes de l’ovulation et de l’embryogénèse renforcent cette exigence de plus en plus avouée de s’arroger, au même titre que par l’accouchement sans douleur, une maîtrise progressive de la condition humaine. Nous savons que les bouleversements sociaux engendrés par la révolution industrielle dans les pays développés et que l’extraordinaire explosion démographique des pays en voie de développement, posent des limites matérielles à l’accroissement de la population. » (p. 94)

L’intention du Groupe Littré est de transformer la société par une action systémique, c’est-à-dire avec l’idée qu’une action concentrée sur un rouage de la mécanique sociale permet de faire levier et de déstabiliser l’ensemble de la société qui ensuite se réorganisera dans une nouvelle configuration stable. L’approche systémique conduit à rétablir l’équilibre et ainsi à digérer la mutation. Tactiquement, le but était de faire entrer la contraception dans les mœurs, de la faire reconnaître par la loi, puis d’agir en faveur de l’avortement.

Un rapport est présenté par le Groupe Littré l’année suivante, en 1955, au Congrès humaniste international de Genève. Ces travaux auraient servi de base au premier projet de loi déposé à l’Assemblée nationale en faveur de l’abolition de la loi de 1920[8] par l’intermédiaire du groupe parlementaire radical-socialiste, en 1954.

Il accueille avec le même optimisme tous les changements provoqués par la science sur la procréation et la famille. Ainsi envisage-t-il favorablement le recours à la gestation par autrui, l’insémination artificielle avec tiers donneur (qu’il pratique en tant que médecin), le choix du sexe de l’enfant, la stérilisation et l’eugénisme négatif (c’est-à-dire par suppression des êtres « inaptes »). Par la suite, avec un autre franc-maçon notable, le sénateur Henri Caillavet, il rejoint l’association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) favorable à l’euthanasie, puis fonde l’association Euro Mater, en 1986 qui promeut le recours aux mères porteuses[9]. Simon est dans la parfaite filiation de Margaret Sanger, Herman Muller et Julian Huxley. Lui-même se réclame de la filiation de Paul Robin (proche de Bakounine et de Ferdinand Buisson), fondateur de la Ligue pour la Régénération humaine et introducteur des idées malthusiennes en France.

Importateur de la libre-pensée néomalthusienne et eugéniste

Pierre Simon s’est formé auprès de ses devanciers français et anglo-saxons, dans la tradition de la Libre pensée néomalthusienne et eugéniste portée par des personnes telles que Clémence Royer, Thomas et Julian Huxley, Paul Robin ou Ernst Haeckel. En France, Pierre Simon s’inscrit dans les pas de Jean Dalsace, qui a lui-même été formé avant-guerre dans les milieux eugénistes et de la réforme sexuelle, notamment aux Etats-Unis.

Pour l’essentiel, Pierre Simon a introduit et diffusé les idées et pratiques néo-malthusiennes en France. Sa pensée diffère peu de celle de ses devanciers, en particulier de Julian Huxley, et son fameux rapport sur la sexualité des Français n’est qu’une version française des rapports Kinsey sur le comportement sexuel humain. Pierre Simon n’a rien inventé, mais a été le promoteur très actif d’une cause et d’une pensée reçues de la tradition franc-maçonne et néo-malthusienne. Il s’est formé aux méthodes de contraception à Londres, auprès de la fédération internationale du planning familial (International Planified Parenthood Federation, ci-après IPPF) (p. 90). C’est en Russie, en 1953, qu’il a appris les techniques d’accouchement sans douleur issues des travaux sur le conditionnement mental de Pavlov (p 47). C’est en Chine qu’il se rend en 1957 pour étudier la politique de contrôle des naissances instaurée par le gouvernement communiste chinois. Dans un autre ouvrage, il décrit longuement les politiques de contrôle démographique mises en œuvre à travers le monde, en particulier en Inde, au Pakistan, au Japon, et dans les pays d’Amérique latine.

Il est le correspondant français du Population Council de John Rockefeller III, et représentant de la France au sein de l’IPPF de 1959 à 1969[10]. Il se dit proche d’Alan Guttmacher, Président du Planning familial américain, ou encore du Professeur Howard Taylor, conseiller des Nations Unies pour les questions de population, consultant du Population Council et fondateur, avec les fondations Ford et Rockefeller du International Institute for the Study of Human Reproduction. Le Dr Simon se rend aux Etats-Unis où il visite les principales organisations et personnalités engagées dans la campagne mondiale de limitation démographique. Il fera venir en France Alan Guttmacher (le 28 septembre 1964 pour présenter le stérilet), Christopher Tietze, Président du Population Council (en décembre 1967)[11], et imposera la présence du Professeur Taylor lors d’un congrès de l’Ordre des Médecins à Paris (p. 128). Alan Guttmacher et Howard Taylor recevront, eux aussi, le prix Lasker.

En complément de ses activités nationales, il a aussi travaillé dans les années 1970 pour la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et pour la Banque mondiale pour introduire le premier programme de contrôle des naissances en Tunisie (1972 et 1973). L’objectif de ce programme, dont la direction est confiée à Pierre Simon, était d’abaisser le taux de fécondité de la Tunisie à celui de l’Italie en l’an 2000. Pour cela, le programme indique le nombre de femmes à soumettre à la contraception, à une stérilisation et à l’avortement chaque année[12]. Dans le gouvernorat de Bizerte, où le programme national est testé avant son application à l’ensemble du territoire, l’objectif annuel est de soumettre 45 000 femmes à la contraception, de pratiquer 8 000 avortements et 3 000 stérilisations. Pour parvenir à cet objectif, des « primes » à l’acte sont versées au personnel médical et aux « patients ». Ainsi, il est prévu une « indemnité aux candidates ‘ligature des trompes’ » de 4 dinars et de 50kg de semoule[13] par femme acceptant d’être stérilisée. Quant aux praticiens, ils reçoivent une prime de 1 dinar par stérilisation et de 0,5 dinar par avortement pratiqué en plus de leur salaire (le salaire fixe de base d’une sage-femme est de 60 dinars par mois). Ce programme, financé par la Banque mondiale est mis en œuvre par le correspondant local de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et par l’intermédiaire d’une entreprise française du nom de Seretes qui emploie Pierre Simon. Avant de se rendre en Tunisie, il est allé se former à la stérilisation et à l’avortement à l’Hôpital John Hopkins, aux Etats-Unis[14].

Le Dr Simon fit d’autres missions similaires en Polynésie[15], et intervint auprès du gouvernement iranien pour obtenir la mission d’y développer le contrôle des naissances. À cette même époque, il propose ses services au bureau de la population du Département d’Etat américain pour ses programmes en Afrique francophone[16].

La capture des mouvements féministes

Jusqu’à la fin des années 1950, Pierre Simon n’a pas accès au grand public, et demeure cantonnée à ses milieux francs-maçons, néomalthusiens et eugénistes. Cela va changer lorsqu’il se rapproche des premiers mouvements féministes, et parvient à en prendre le contrôle[17].

En France, comme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le mouvement féministe va devenir un vecteur de l’idéologie eugéniste. Il va lui donner accès à une base populaire militante, lui ouvrir une large audience, et lui permettre de renouveler son discours. L’eugénisme, ou l’orthogénisme de Pierre Simon et de ses affidés n’a jamais été féministe, ni libéral ; il comporte au contraire une idéologie inégalitaire, raciste et autoritaire. Issu de la pensée matérialiste de la fin du XIXe siècle, il diffère de la révolution culturelle des années 1960. Pourtant, il parvint à fusionner avec la cause féministe, et à renouveler ainsi son image.

Les militants du contrôle des naissances ont compris qu’ils pourraient plus facilement atteindre leurs objectifs, non plus par des arguments racistes ou eugéniques discrédités par la Seconde Guerre mondiale, mais au nom de la liberté des femmes.

Il est vrai, toutefois, que cette alliance avait des racines profondes puisque les premières féministes, à leurs débuts durant l’entre-deux guerres, s’étaient déjà rapprochées des eugénistes alors respectés, pour bénéficier de leurs réseaux d’influence et de leur respectabilité.

C’est en 1956 qu’est créé en France le mouvement La Maternité heureuse, notamment par Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé et Evelyne Sullerot (issue du mouvement Jeunes Femmes). Ce mouvement recherche surtout l’amélioration des conditions de la maternité dans le cadre du couple, par une procréation davantage responsable et consciente. Il est favorable à la contraception, et totalement hostile à l’avortement.

Mais dès 1959, La Maternité heureuse fusionne avec les membres français du Groupe Littré pour fonder le Mouvement Français pour le planning familial (MFPF), association affiliée à la Fédération Internationale du Planning Familial (IPPF). Pierre Simon constitue et préside en son sein un « collège des médecins » du MFPF qui s’impose rapidement comme le groupe dirigeant au sein du mouvement. L’influence des femmes se réduit alors au profit des médecins et des francs-maçons. Ces derniers disposent d’une philosophie et d’un réseau préétabli sur le territoire pour constituer la pensée et relayer localement l’action du mouvement. Le MFPF rassemble alors des personnalités diverses, des féministes, des libres penseurs, mais aussi des théologiens[18]. Lors de la cérémonie d’inauguration du local du MFPF, celui-ci est orné d’un portait de Margaret Sanger. Dans ces locaux, les médecins du MFPF enseignaient à d’autres médecins, en violation de la loi, les méthodes de contraception, en ayant recours à des prostituées. En 1961, le mouvement compterait 400.000 adhérents.

Pierre Simon n’avait pas d’intérêt particulier pour le féminisme et n’agissait pas dans ce but. Au contraire, l’autorité du groupe de médecins qu’il a fondé et qu’il dirigeait était mal perçue par les femmes au sein du MFPF, qui étaient pour la plupart affectées à un rôle d’hôtesse d’accueil au sein des locaux. Les féministes n’avaient pas de vision biologique de la société et militaient surtout pour une meilleure éducation sexuelle et l’accès à la contraception au sein des couples. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé était par exemple opposée à l’avortement. La branche féministe obtiendra plus tard le départ des « mandarins ». D’ici là, les médecins libres-penseurs menés par le Dr Simon avaient eu le temps d’utiliser le mouvement féministe pour porter leur vision idéologique.

Accouchement sans douleur et contraception

Le Dr Pierre Simon s’est d’abord attelé à diffuser la technique de l’accouchement sans douleur. Son intention était de libérer la femme de la souffrance, ayant l’idée d’accomplir ainsi un acte de portée historique considérable réduisant à néant la pénitence imposée par Dieu dans la Genèse après le péché originel, lorsqu’Il déclara à Eve : « tu enfanteras dans la douleur » (p. 39). Avec son combat pour la diffusion du contrôle des naissances, il s’agissait encore pour lui de s’opposer à la Genèse : au « diktat du ‘‘Croissez et multipliez’’ » (p. 93). Pour Pierre Simon, la légalisation de la contraception est l’une des « plus prestigieuses conquêtes de la liberté, pierre de touche architecturale d’un changement en profondeur des vertus de l’espèce ». (p. 142).

En 1963, Pierre Simon introduit en France le « dispositif intra-utérin » (IUD) qu’il nomme « stérilet » après l’avoir rapporté du VIIème Congrès mondial de l’IPPF tenu à Singapour. Cet appareil, inventé peu avant par Lazar C. Margulies à New-York, a été développé et diffusé à travers le monde avec le soutien du Population Council[19].

En 1965, le MFPF fait soumettre aux parlementaires un nouveau projet de loi visant l’abolition des dispositions de la loi de 1920 interdisant la contraception[20]. Pierre Simon, accompagné du député Robert Aron-Brunetière, trouva en la personne de Lucien Neuwirth un député de droite acceptant de porter une nouvelle fois la proposition de loi légalisant la contraception médicamenteuse. La loi n°67-1176 fut votée le 28 décembre 1967. Elle abroge d’anciennes dispositions du code de la santé publique issues de la loi de 1920 et autorise la fabrication et l’importation de contraceptifs sous certaines conditions[21]. Peu après le vote de la loi Neuwirth, Pierre Simon entre au cabinet du ministre de la Santé, Robert Boulin, pour suivre sa mise en œuvre.

La bataille de l’avortement

Pierre Simon s’engagea ensuite dans la bataille en faveur de l’avortement. En 1969, Il fonde l’Association nationale pour l’étude de l’avortement (ANEA) avec Me Anne-Marie Dourlen-Rollier, Raoul Palmer et le Dr Jean Dalsace. Pierre Simon indique avoir collaboré alors avec des théologiens et médecins catholiques réunis autour du Père Bruno Ribes s.j. qui dirigeait alors la revue Études[22]. Une fois encore, il est opposé à l’Ordre des médecins.

Au sein du cabinet du ministre de la santé, Robert Boulin, il reçoit la direction d’une commission d’étude du problème de l’avortement. Il y nomme des médecins, mais aussi des théologiens catholiques (les pères Quelquejeu[23] et Pohier, dominicains du Saulchoir) et protestants (le Pasteur André Dumas qui participe aussi au MFPF). Une première proposition de loi de dépénalisation de l’avortement fut introduite, sans succès. Parallèlement, les mouvements féministes tels que Choisir et le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), ou encore le Mouvement de libération des femmes (MLF) se sont engagés activement en faveur de l’avortement. Entre temps, le MFPF a traversé une double crise : le mouvement s’est libéré de la domination des médecins et francs-maçons et a opté pour la revendication de la légalisation de l’avortement, causant des démissions, notamment celle de sa présidente Marie-Andrée Weill Hallé, fondatrice de la Maternité Heureuse.

Il faut attendre l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, à la tête d’une fragile majorité centriste, pour obtenir que le projet de dépénalisation de l’avortement soit à nouveau d’actualité. Il est confié à Simone Veil, nouvelle ministre de la Santé, qui le présenta au Parlement et parvint à le faire adopter en janvier 1975. Pierre Simon estime ne pas avoir eu à combattre réellement pour l’avortement, le combat ayant déjà été gagné par la légalisation de la contraception.

Si Pierre Simon regrette encore dans son livre que l’avortement soit perçu par les femmes comme un acte traumatisant créant des « scrupules de conscience obsessionnels », il se dit convaincu que dans un très proche avenir des techniques nouvelles vont modifier cette perception. Il cite ainsi en exemple ce qu’il désigne comme « l’avortement station-service » : il s’agit d’une technique d’avortement que chaque femme pourrait pratiquer chaque mois, par aspiration ou par voie médicamenteuse, sans savoir si elle est, ou non, enceinte. Ainsi elle ne saurait pas si elle a avorté et serait libérée à la fois de la procréation et de ses scrupules. En outre, cette pratique rendrait vaine toute législation tendant à réduire l’avortement, car il est impossible de savoir si un avortement a été réalisé. Pierre Simon conclut, avec son emphase habituelle : « Un tel bouleversement aura des implications philosophiques considérables, ce qui devrait rendre nos parlementaires modestes. » (p. 215) De fait, c’est bien cette technique de « régulation menstruelle » qu’utilise une organisation comme Marie Stopes International pour pratiquer des avortements dans les pays où cela est interdit.

Militant de l’euthanasie et de la GPA

Cohérent avec sa conception de maitrise du début de la vie, il milite aussi pour l’euthanasie. En 1989[24], il devient administrateur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).  Cette association a été fondée en 1980 par l’Américain Michel Lee Landa, et s’inspire directement des organisations euthanasistes anglo-saxonnes, elles-mêmes issues du mouvement eugéniste. Pierre Simon rejoint ainsi le sénateur et franc-maçon Henri Caillavet qui assure la présidence de l’association depuis 1986. Simon et Caillavet sont non seulement des frères maçons, mais aussi des « frères d’armes », pour avoir mené ensemble de nombreux combats. Simon rejette la morale traditionnelle qui repose selon lui « sur une sacralisation du principe de vie, dont l’essence est superstitieuse et la démarche fétichiste ». (p. 233) Quant à Caillavet, il croit que « le droit de choisir l’instant et la forme de sa délivrance est une liberté matricielle fondamentale »[25].

On retrouve dans les textes de l’ADMD à l’égard de la fin de vie la même pensée que celle exprimée par Pierre Simon à l’égard du commencement de la vie. Il s’agit ni plus ni moins de renverser le dogme du respect de la vie, au profit de celui de la volonté individuelle. L’euthanasie et l’avortement sont les deux faces d’une même volonté de contrôle de la vie : le contrôle à « l’entrée » et à la « sortie » de la vie suivant les paroles de Margaret Sanger[26], la fondatrice de Planned Parenthood. Dès les années 1920, les promoteurs de l’eugénisme s’engagent à la fois pour le contrôle des naissances et l’euthanasie. L’engagement de ces personnes en faveur de l’euthanasie n’est que l’un des aspects d’un même engagement, plus vaste, en faveur d’une rationalisation de la vie et, souvent, d’une destruction de l’anthropologie traditionnelle, en particulier chrétienne.

La volonté de détacher la procréation de la sexualité et de maitriser la vie conduit encore Pierre Simon à participer en 1986 à la fondation de l’association Euro Mater, comme indiqué précédemment, dans le but d’introduire la gestation par autrui en France. L’association veut obtenir la légalisation de cette pratique par le biais des instances européennes, par une harmonisation des législations, suivant le modèle des Etats Unis. Comme l’ADMD, l’association est présidée par Henri Caillavet.

______

[1] Conseil créé par la loi n°73-639 du 11 juillet 1973, sur proposition de Lucien Neuwirth.

[2] Pierre Simon, De la vie avant toute chose, éd. Mazarine, Paris, 1979.Les citations dans l’article renvoient à ce livre.

[3] P. Simon, La contraception… p. 263.

[4] Voir par exemple son rapport sur la situation en France présenté avec Henri Fabre, in « Report from France », Proceedings of the seventh conference of the international planned parenthood federation, Singapore. February 10-16th, 1963.

[5] P. Simon, Le contrôle des naissances, Histoire – Philosophie – Morale, Petite Bibliothèque Payot, p. 89.

[6] Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, p. 166.

[7] http://www.laicite-namur.be/wp-content/uploads/2014/11/Laicite-Willy-Peers.pdf

[8] Fonds d’archives Pierre Simon, Université d’Angers.

[9] Centre des archives du féminisme Bibliothèque universitaire d’Angers, Fonds 17 AF, Fonds Pierre Simon, 2007.

[10] Fonds d’archives Pierre Simon, Centre des archives du féminisme Bibliothèque universitaire d’Angers, Université d’Angers.

[11] Fonds d’archives Pierre Simon, Université d’Angers, 17 AF 22.

[12] Note synthétique sur le programme de planning familial dans le gouvernorat de Bizerte, Office National du Planning Familial et de la Population, 1973. Archives Pierre Simon, 17 AF 26.

[13] Annexe à la Note synthétique sur le programme de planning familial dans le gouvernorat de Bizerte, Office National du Planning Familial et de la Population, 1973. Archives Pierre Simon, 17 AF 26.

[14] Fonds d’archives Pierre Simon, Université d’Angers, 17 AF 22.

[15] Fonds d’archives Pierre Simon, Université d’Angers, 17 AF, 2007.

[16] Fonds d’archives Pierre Simon, Université d’Angers, 17 AF 22.

[17] Le même phénomène de rapprochement et de capture de la cause féministe par les eugénistes a aussi été observé dans les milieux anglo-saxons.

[18] Tels les pasteurs André Dumas et Roland de Pury et l’abbé Marc Oraison.

[19] Le Population Council a consacré à cette fin deux millions de dollars entre 1961 et 1963. Frederick Osborn, “American Foundations and Population Problems,” in Warren Weaver, ed., U.S. Philanthropic Foundations: Their History, Structure, Management, and Record (New York: Harper and Row, 1967), p. 371. Voir Martin Morse Wooster, The Ford Foundation: Founder of Modern Population Control, Catholic Family & Human Rights Institute, The International Organizations Research Group, New York City, 2004.

[20] A l’époque, le Ministère de la Santé s’appelait « Ministère de la Santé et de la Population », et le Parti communiste renversait sa position, pour finalement adhérer non seulement à l’avortement mais aussi au contrôle des naissances. Précédemment, il était favorable à l’avortement (pour la liberté de la femme), mais pas à la contraception, car l’URSS était alors nataliste et voyait en la contraception un instrument bourgeois de limitation des masses prolétaires.

[21] Vente exclusive en pharmacie sur ordonnance médicale, autorisation parentale pour les mineures, interdiction de toute publicité commerciale.

[22] B. Ribes, Les chrétiens face à l’avortement Pour surmonter les tensions, Etudes, Octobre 1973, p. 405 et s. Le P. Bruno Ribes, opposé à l’encyclique Humanae Vitae, finit par quitter la prêtrise

[23] Auteur de « La volonté de procréer. Réflexion philosophique », dans Lumière et Vie, n° 109, août-octobre 1972, p. 57-71.

[24] Bulletin de l’ADMD, n°31, avril 1989.

[25] Bulletin de l’ADMD, n°21, septembre 1986.

[26] https://saynsumthn.wordpress.com/tag/national-society-for-the-legalization-of-euthanasia/

Опубликовано lyumon1834

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